Jacques Oudin

souvenir d'un résistant deporté

Jacques déporté

La Gestapo met finalement la tête de Jacques à prix, et c’est pour de l’argent qu’il sera une dernière fois trahi. Louis MARTIN du réseau Défense de la France, raconte :

« Le 30 janvier 1944, Jacques m’avait donné RV à 21h sur la place du métro Convention. Malheureusement, le matin même , j’ai été arrêté à mon domicile et lors de sa fouille, la police s’est emparée du programme de mes RV, dont celui du soir avec Jacques. Le soir, 3 agents de la gestapo, un allemand et un couple de Français, m’amènent au Métro convention,  me déposent en queue de train alors qu’ils vont se cacher en tête de quai. Je suis menotté mais mon manteau cache mes mains... A 22h10, Jacques et Charles Bernard, allias Actu, un agent du journal Combat, descendent du métro. Je leur dis : « je suis arrêté, Actu, toi qui es toujours armé, tire sur les 3 types qui arrivent, ils sont de la gestapo. » Actu ne réagit pas, il laisse s’approcher les 3 hommes. C’était un agent double. Jacques est arrêté. »

Il va alors être affreusement torturé par la gestapo qui veut obtenir de lui des renseignements. Il est passé 15 heures de suite à la baignoire, aveuglé de lumière pendant 48h, battu jusqu’à perdre connaissance. Mais durant tous ces interrogatoires, Jacques ne lâche aucune information. Le 10ème jour, pour ne pas parler, Jacques tente de se suicider en se passant un fil de fer autour de son cou et il tombe dans le coma. Les allemands le réaniment. Comprenant qu’ils ne tireront rien de lui, ils décident de le déporter vers un camp de la mort.

En prison, à Royallieu , près de Compiègne avant d’être déporté, Jacques parvient à écrire une dernière lettre a sa famille, le 2 avril 1944:

«Ma chère maman, mon cher Papa, En ce soir des rameaux, je prends le crayon quand même pour vous dire dans le silence de cette captivité, combien mon affection pour vous est grande. Je pars sans doute pour l’Allemagne cette semaine. Ne vous désespérez pas, dites vous que le plus mauvais est maintenant passé. La pensée de vous tous me fait vivre. J’assiste à la messe presque chaque matin, je demande à Dieu de soulager votre peine, vous qui m’aimez tant. Physiquement, je vais mieux, je me fais à la captivité avec une espérance farouche ! une affection immense pour vous et je ne suis pas malheureux. Ayez confiance, comme vous avez eu confiance jusqu’ici. Bientôt nous nous retrouverons, très bientôt même. Je vous embrasse, cher papa, chère maman, je vous aime et vous demande pardon. Bons baisers aux sœurs, beaux frères, neveux, nièces. Je vous aime tous beaucoup. »

C’est par un assemblage minutieux de témoignages successifs que la famille de Jacques réussira à retracer le trajet et l’horreur de son dernier voyage. D’abord grâce au résistant Pierre Mussetta qui fut avec lui de Fresnes à Buchenwald en passant par Compiègne. Le convoi qui mène Pierre et Jacques en Allemagne comptent 1566 prisonniers non juifs et quitte Compiegne le 27 avril 1944. Il est surnommé le convoi des tatoués, ainsi ont été marqués ceux qui étaient destinés au travail et non aux fours crématoires. Les informations de ces archives sont confortées par une petite lettre, de source familiale, jetée au passage du train a la gare de Reims le 28 avril 1944. C’est ainsi que la famille de Jacques est informé de son départ..

Le convoi ira tout d’abord à Auschwitz, où Jacques reste 3 semaines avec ses compagnons d’infortune, sans doute à cause d’un manque de place à la destination finale de Buchenwald. A Auswitz les allemands abattent chaque 10ème déporté dénombré. Mais Jacques échappe ce un mortel décompte. Puis le funèbre convoi rejoint Buchenwald où il arrive le 14 mai. Le trajet aura duré presque 5 jours dans des conditions épouvantables et sans eau.

Pendant ce temps les alliées débarquent le 6 juin 1944 en Normandie, et avec le relais des résistants français commencent la reconquête progressive des territoires sous domination allemande. Malheureusement, a cette même époque, loin de la liesse de cette progression, Jacques est transféré fin juin 44 au camp d’Ellrich Dora. Dans ce Kommando de travail, Jacques et ses camarades creusent des tunnels pour abriter les usines de fabrication des fusées V2.

Un de ses compagnons à Ellrich , Jean Guardo, a parlé de lui:

« Devant les SS, il ne trembla jamais, il ne courbait jamais l’echine.il avait les yeux bleus comme l’azur, quand ils étaient adoucis par la pensée de sa famille, yeux bleus sombres insondables quand il parlait d’action pour la France. Il savait comprendre le cœur et la pensée des gens, il avait des amis dans toutes les classes sociales, il réconfortait les faibles, secourait les désespérés, suscitait des solidarités dans ces conditions pourtant si inhumaines... Sa vie au camp fut faite de dévouement et d’abnégation.»

Ce camp frappe en effet l’âme d’épouvante: le froid, la famine, la cruauté des traitements, l’absence d’hygiène auront raison de milliers d’hommes morts à Ellrich Dora.

Début avril 1945, les armées de libération approchent enfin du camp d’Ellrich-Dora et les allemands décident d’évacuer les déportés par le train. Les détenus sont alors chargés dans des wagons à découvert où ils restent 15 jours sans nourriture. Jacques, atteint de septicémie, mourant, sera épargné des coups de crosse des allemands qui achevaient les agonisants, parce qu’un de ses compagnons le fait passer pour son frère. Jacques pourra alors rendre l’âme dans ses bras le 8 avril 1945 à 23h aux lueurs de la liberté qui approche. Il murmura ces mots à son ami: « Préviens les miens et dis leur que je meurs en chrétien ».

Jacques OUDIN n’avait pas 24 ans.